Les communautés sont l’avenir de l’entreprise !
Interview
Coorpacademy a co-édité avec makesense un cours en ligne sur la création de communautés en entreprise. Elles peuvent apporter beaucoup aux organisations : stimuler l’innovation, fidéliser les salariés, diffuser de nouvelles méthodes de travail…Lucie Chartouny, Community Builder chez makesense et co-initiatrice de la communauté des paumé·e·s nous livre dans cette interview son expérience de construction de communautés. Il semblerait que la révolution du collectif en entreprise n’ait pas fini de nous surprendre !
Q. : Commençons par une question facile, ou presque ! Qu’est-ce qu’une communauté pour l’entreprise ? Communauté et entreprise vont-elles si bien ensemble ?
En réalité, il n’y a pas une seule bonne définition, car ce mot est utilisé différemment selon les personnes, les contextes et les cultures. Dans notre quotidien, on concentre cette définition sur les personnes qui choisissent de se regrouper en communauté pour une raison particulière. Et plus précisément, sur les groupes de personnes unies par une vision commune – comme rendre les produits de leur entreprise plus durables – ou par leur situation – par exemple un groupe de jeunes entrepreneurs – qui œuvrent ensemble pour atteindre un objectif partagé.
En tout cas, je suis convaincue que la communauté est l’avenir de l’entreprise.
En tout cas, je suis convaincue que la communauté est l’avenir de l’entreprise, c’est-à-dire que l’avenir de l’entreprise se construira autour d’une approche de communautés. Le fait d’avoir un groupe de personnes qui a envie d’agir ensemble, de faire avancer des sujets, permet – et on l’a vu en temps de crise – d’être à la fois proactif, résilient, tout en ayant une approche décentralisée, et donc au final de gagner du temps et de trouver les solutions plus pertinentes et plus proches du terrain.
Après, les communautés en entreprise présentent de vraies différences. Certaines servent à engager, à connecter soit des salariés soit des parties prenantes, sur des thématiques données, par exemple environnementales, ou de RSE. D’autres sont au service de la diffusion et du partage des bonnes pratiques et des outils. Enfin, la dernière typologie qu’on voit sont des communautés d’innovation et de création au service d’un objectif stratégique ou de mission d’entreprise, l’intérêt de la communauté dans ce cadre est que les remontées de terrain qui permet d’innover différemment d’une approche classique.
Q. : Le développement des communautés serait aussi celui de la démocratie au sein de l’entreprise ?
Les communautés peuvent avoir un impact en termes de gouvernance, mais cela ne se fait pas du jour au lendemain, cela prend du temps de transformer les dynamiques et les modes d’engagement des salariés. Chez makesense, on est convaincu que les communautés sont des modes d’engagement citoyen qui sont complémentaires à l’existant.
Q. : As-tu créé la communauté des paumées avec cette volonté de nouvel d’engagement citoyen ?
J’ai co-initié la communauté des paumé·e·s avec deux collègues Aurore Le Bihan et Simon Drouard en 2018. On est partis de nos ressentis personnels et non pas d’une approche intellectuelle autour de l’engagement. Tous les trois avions eu des phases de transition professionnelle.
On se sentait perdus, paumés et personnellement, je ne savais pas avec qui partager mon questionnement et je ne comprenais pourquoi je trouvais si peu d’informations sur la quête de de sens au travail.
On se sentait perdus, paumés et personnellement, je ne savais pas avec qui partager mon questionnement et je ne comprenais pourquoi je trouvais si peu d’informations sur la quête de de sens au travail. En en discutant avec Simon et Aurore, et puisque chez makesense on aime faire les choses avec une approche collective, on a voulu essayer d’aider tous ceux qui comme nous qui se posent plus de questions qu’ils n’ont de réponses. On a donc lancé le premier événement de la communauté paumé·e·s pour tout simplement se retrouver, raconter pourquoi on se sent paumé et essayer de s’entraider. Aurore, fan de podcast de son côté, a donné la parole à des paumé·e·s, qui avaient avancé dans leur réflexion ou dans des projets intéressants. Aujourd’hui, on a près de 15 000 membres un peu partout en France et il y a eu des centaines d’événements pour la plupart initiés et organisés par des “super paumé·e·s”, environ 200 membres très engagés à Nantes, Montpellier, Lyon, etc. et qui se sont reconnus dans le manifeste.
Q.: Faut-il que la raison d’être de la communauté soit très claire et affirmée, comme dans un manifeste, pour garantir le succès ?
C’est vrai que les membres de paumé·e·s partagent tous la conviction que la “paumitude” est une période utile saine, qui peut être vécue avec optimisme. Ce parti pris peut nous couper de personnes en grande souffrance, mais il faut être clair sur sa raison d’être.
La raison d’être des paumé·e·s, soit la quête de sens, est un sujet qui était déjà très actuel avec peu de propositions qui visaient à répondre à cette question, à part du coaching très individuel ou très développement perso, sans beaucoup d’offres où les choses se font en collectif. Je crois aussi que beaucoup de paumé·e·s se sont reconnus dans cette communauté parce que nous l’avons fait en s’amusant, en cherchant ce qui nous aurait fait rire à l’époque, comme le pastiche de Jacques Séguéla, en adoptant un ton qui se veut rigolo. Mais notre raison d’être qui se veut claire, et un manifeste, et des outils mis à disposition de tous, et le fait que cela ait été lancé dans d’autres régions de France que Paris, font que l’ensemble a marché !
Q.: À quel moment on peut parler de réussite d’un communauté ?
Cela peut paraître un peu bisounours, mais j’ai eu la sensation qu’on avait réussi quand, lors d’un événement avec les membres ambassadeurs les plus actifs, ces derniers ont raconté leur parcours et leur engagement au sein de paumé·e·s, et comment cela avait transformé leur vies, et comment la communauté les aidait. Ces témoignages forts m’ont fait prendre conscience que de très belles choses se passaient avec beaucoup de transformations personnelles. Par exemple, l’un d’entre eux a expliqué comment le fait d’organiser les événements lui avait permis de reprendre confiance en soi après son burn-out. En fait, les membres ont montré comment la communauté les avait transformés et que la somme des transformations individuelles peut faire changer les choses collectivement.
Q.: Si tu avais un conseil à donner pour réussir à construire une communauté, en dehors de celui de suivre le cours co-édité avec Coorpacademy, lequel serait-il ?
Lancer une communauté peut paraître assez vertigineux. Se dire “j’organise un événement et je pense que ce sujet est important, on y va”, il faut oser, surtout dans un contexte professionnel avec en plus les enjeux de carrière, de ce que vont penser ses collègues, son manager. C’est une vraie prise de risque. Mais, le truc est d’y aller pas à pas, de commencer par des petites choses, comme déjà organiser un café avec des collègues les plus bienveillants, avant de réserver l’amphi de l’entreprise !
Osez petit ! Et aussi, se lancer rapidement sans trop réfléchir et apprendre sur le tas.
Si j’avais un conseil à donner, je reprendrais celui que Gaëtan Maillet chez Décathlon avait donné lors d’une conférence sur la difficulté de faire vivre les communautés en entreprise : osez petit. Et aussi, se lancer rapidement sans trop réfléchir et apprendre sur le tas. C’est ce qu’on a fait pour les paumé·e·s, et c’était passionnant de voir le lancement d’une communauté de zéro à, aujourd’hui, des milliers de membres avec un grand niveau d’autonomie, où les “super paumé·e·s “jouent des rôles forts et portent les régions.
Q.: Il semble que la quête de sens, de soi, soit au coeur de la communauté des paumé·e·s. Est-ce selon toi un enjeu que les entreprises doivent porter ? D’après ton expérience auprès des organisations que tu as pu conseiller, quels sont les autres enjeux RH liés aux communautés dans les entreprises ?
Quand je suis arrivée il y a 4 ans chez makesense, la question de la quête de sens était moins à la mode, moins urgente et en entreprise, j’ai le sentiment qu’on ne voulait pas trop en entendre parler.
Déjà dire le mot communauté nous faisait passer pour des extraterrestres mais parler en plus d’une communauté orientée sur la quête de sens, c’était alerte rouge !
Déjà dire le mot communauté nous faisait passer pour des extraterrestres mais parler en plus d’une communauté orientée sur la quête de sens, c’était alerte rouge, avec la crainte que les collaborateurs finissent par démissionner ! Depuis fin 2019, j’ai vraiment le sentiment que cela a beaucoup évolué. Le mot communauté fait moins peur et en plus, on s’aperçoit de leur intérêt. Par exemple, on s’est rendu compte que dans une des communautés qu’on accompagne, certains de ses membres restent aujourd’hui dans cette entreprise grâce à la communauté, parce qu’ils rencontrent des personnes qu’ils ne rencontreraient pas autrement, ils apprennent plein de choses et ne s’ennuient pas. Les communautés peuvent devenir un vrai enjeu de rétention, de fidélisation des talents en entreprises. On a aussi pas mal de communautés autour du digital, pour des profils de data scientists, très demandés sur le marché du travail. Assez rapidement, ils peuvent s’ennuyer entreprises parce que leur métier est assez technique, peu compris, et avoir une communauté autour du digital leur permet de partager ce qui les anime à côté ou pendant le travail, de se stimuler les uns les autres pour continuer à apprendre jour après jour.
Ce qui est passionnant sur ce sujet de la fidélisation grâce aux communautés, c’est qu’on retrouve une quête de sens souvent liée à un engagement environnemental ou social de l’entreprise, à sa mission.
Aujourd’hui, la question du sens est complètement inévitable, les entreprises en sont conscientes.
Aujourd’hui, la question du sens est complètement inévitable, les entreprises en sont conscientes. Donc elles peuvent soit faire évoluer leurs communautés et leurs raisons d’être au départ pus liées à d’autres sujets, soit même créer des communautés autour de la collaboration, de la formation de leurs salariés pour les fidéliser.
Q.: Quel est le projet de communauté en entreprise que tu as accompagnée qui t’a le plus marqué ?
J’accompagne Ecowork, la communauté autour de la ville durable chez Vinci. C’est un exemple de communauté makesense pour moi très abouti. Au départ, nous organisions la plupart des événements, et petit à petit, on a autonomisé les membres. Aujourd’hui, ils sont eux-mêmes créateurs de méthodologies pour transformer leurs réponses à un appel d’offre et avoir le réflexe environnemental au bon moment. Ils sont eux-mêmes organisateurs d’after-work autour de l’économie circulaire ou sur d’autres thématiques. Il y a des programmes ambassadeurs assez poussés, des programmes de formation autour des sujets de environnementaux et cela permet petit à petit de faire basculer la vision de l’environnement au sein de Vinci.
Tous les salariés avec qui on travaille sont vraiment en demande.
Tous les salariés avec qui on travaille sont vraiment en demande. Ils sont aussi souvent très très engagés personnellement, avec une vraie volonté de mieux comprendre les enjeux environnementaux, et de transformer leurs métiers pour pouvoir être dans leur vie professionnelle ambassadeurs de l’écologie comme ils le sont dans leur vie personnelle. La communauté leur permet de reprendre le pouvoir sur une partie de leur quotidien en étant connectés aux bonnes personnes et en disposant des bonnes méthodologies de travail. Les nouvelles communautés sont beaucoup liées aux nouvelles méthodologies de travail. Chez Vinci, Ecowork a augmenté la collaboration entre leurs multiples filiales, entre les salariés et au service de l’environnement.
Merci Lucie, ce sujet des communautés est passionnant et infini !
Envie d’en savoir plus ? Découvrez le cours Comment construire une communauté de makesense sur les plateformes Coorpacademy.
Lucie Chartouny, Community builder chez makesense, est la co-initiatrice de la communauté des paumé.e.s, qui regroupe des milliers de millenials en quête de sens et de soi dans leur vie professionnelle notamment. Elle aide au quotidien les organisations à redonner du sens au projet collectif et les accompagne dans la construction et le développement de communautés en leur sein.
makesense Créée en 2010, la communauté mondiale de makesense compte près de 100 antennes. Leur objectif est de mobiliser les gens - citoyens, entrepreneurs, organisations - afin qu'ils travaillent ensemble pour s'attaquer aux grands problèmes sociaux et environnementaux de notre temps. Ils s’appuient sur leur expérience de la croissance des communautés dans des cultures, des pays et des contextes différents pour élaborer des modèles et des formations visant à formaliser les meilleures pratiques dans ce domaine émergent. Au cours des six dernières années, ils ont formé et soutenu des dizaines d'organisations - des entreprises aux institutions mondiales en passant par les petites entreprises en démarrage - auprès de leurs communautés.