Du jeu à l’apprentissage : Les lois de l’attraction
Learning Innovation
Parce qu’elle sait, mieux que toute autre, actionner les bons leviers pour fidéliser ses joueurs, l’industrie du jeu vidéo inspire les sites d’apprentissage en ligne. Car l’engagement, c’est tout un art…
« Bois-moi », « Mange-moi », « Regarde par le trou de la serrure », « Parle au Chapelier fou »… Truffée d’innombrables injonctions explicites ou suggérées, l’aventure d’Alice au pays des merveilles est l’illustration parfaite du récit ludique dont l’héroïne est engagée, envers et contre tout. Qu’importe si sa tête est mise à prix par la terrible Reine de cœur : la curieuse enfant va goûter et toucher à tout, ouvrir toutes les portes – actionner tous les call-to-action en somme –, protégée qu’elle est par la fiction onirique dans laquelle elle évolue.
Tel est le pouvoir des mondes virtuels, qu’ils soient faits de papier ou de pixels : nous permettre d’évoluer librement, à l’abri du danger, et d’y retourner, inlassablement. Mais quels ingrédients leur confèrent leur goût de « revenez-y » ? Comment les jeux vidéo nous incitent-ils à nous impliquer, durablement ? À ne pas raccrocher la manette au premier obstacle ? Et – c’est ce qui nous intéresse ici – comment ces mécanismes peuvent-ils s’appliquer au monde de la formation et de l’apprentissage en ligne pour engager l’apprenant de manière pérenne ? En réalité, il n’existe pas une seule recette miracle, déclinable sur tous les média. L’engagement est le résultat d’une savante combinaison de différents leviers de rétention ou de fidélisation. Et cela, l’industrie du jeu vidéo, malgré son jeune âge (elle devient grand public à partir des années 1970, avec les premières bornes d’arcade), l’a bien compris en l’intégrant dans ses différentes évolutions, qu’il s’agisse du hardcore gaming, qui cible les joueurs purs et durs, ou du casual gaming (jeux destinés à des joueurs occasionnels, des enfants aux personnes âgées). À chaque public et chaque catégorie de jeu ses facteurs de motivation. Nous en avons sélectionné quelques-uns qui nous tiennent à cœur chez Coorpacademy.
• La progression par niveau
C’est un pilier du jeu vidéo, présent dans tous les gameplays (ensemble des « règles » d’un jeu), du plus élémentaire (Pong) au plus élaboré. En effet, une prise en main facilitée par un didacticiel et différents degrés de difficulté permettent d’assurer une bonne progression au joueur. Le niveau de difficulté a d’ailleurs une double utilité : permettre à tout un chacun de trouver l’expérience de jeu qui lui convient, et aider l’utilisateur à progresser en recommençant le jeu à zéro avec un niveau de difficulté plus élevé… tout en allongeant la durée de vie du jeu ! Et plus les cycles de jeu sont courts, plus l’addiction croît. Candy Crush, Tetris, Pac-Man ou encore le très épuré Snake en sont d’illustres exemples.
Et pour l’apprentissage en ligne ?
Selon le psychologue hongrois Mihály Csíkszentmihályi, une expérience optimale repose sur un juste équilibre entre la performance demandée à l’utilisateur et celle qu’il peut fournir. Ainsi motivé, ce dernier sera satisfait de son accomplissement, et donc s’engagera pleinement dans son activité. Cette théorie dite du « flow », appliquée dans le monde du jeu vidéo, est également cruciale pour proposer des formations en ligne adaptées au plus grand nombre. Ainsi, des tests proposés au début de l’expérience peuvent permettre d’évaluer les connaissances et aptitudes de l’apprenant afin le diriger vers le niveau adapté à son profil. Et ainsi ne pas le décourager d’emblée, tout en lui proposant des challenges stimulants. À ce titre, de nouvelles formes d’apprentissage comme l’adaptive learning, version 2.0 du Livre dont vous êtes le héros de notre enfance, s’ajustent en fonction du profil et/ou des besoins de l’apprenant, et permettent, grâce à l’analyse de données et aux algorithmes, la personnalisation du contenu.
• La compétition et la collection
Se mesurer à « l’intelligence » du jeu, à soi-même ou aux autres, c’est l’essence même de l’activité vidéoludique. Comme l’explique le game designer Thibault Coupart sur son blog, l’accomplissement et le défi sont des plaisirs majeurs que procure la pratique du jeu vidéo. La recherche de récompenses et d’objectifs à atteindre nourrit donc l’engagement du joueur, qui se plaît à amasser les trophées. Ces mécanismes sont d’ailleurs cruciaux pour certains genres de jeux, comme les RPG (role playing game). Succès (récompenses additionnelles attribuées en fonction de l’accomplissement de quêtes annexes), hauts faits, quêtes secondaires, mais aussi collection d’équipements, d’armes ou d’objets magiques… De World of Warcraft à Final Fantasy, les RPG titillent le goût de la collectionnite de leurs adeptes. Certains affichent même l’évolution et le talent du gamer via le titre de son personnage (rang…) et ses évolutions physiques. De quoi susciter l’envie et ainsi propager une émulation chez les autres joueurs. En outre, tous ces leviers d’engagement ont pour effet de prolonger la durée de vie du jeu… et donc de rendre l’engagement encore plus durable.
Et pour l’apprentissage en ligne ?
L’idée de compétition et d’amélioration est tout aussi importante dans le cadre de la formation en ligne, à condition que celle-ci se fasse de façon bienveillante et incitative. En plus du droit à l’erreur, des éléments de soutien, comme les indices, doivent venir en aide à l’apprenant afin de le faire progresser et l’accompagner tout au long de son parcours. Et en guise d’éléments de motivation, des systèmes de badge, des points ou encore des certificats viennent récompenser les efforts fournis et attester des compétences et/ou connaissances de l’utilisateur.
• La communauté et la reconnaissance sociale
Depuis l’avènement des bornes d’arcade, le jeu vidéo est une expérience sociale qui se partage, que ce soit en petit comité dans l’espace « réel » (avec les consoles de salon) ou à plusieurs dans le monde virtuel. En effet, la démocratisation du jeu en ligne, popularisé par le jeu de tir Doom dans les années 1990, puis par les MMORPG (Massively Multiplayer Online Role Playing Games) comme World of Warcraft ou Dungeons and Dragons, a créé des communautés gigantesques de joueurs, éparpillés dans le monde entier. Or selon la théorie de l’auto-détermination, ou SDT (Self Determination Theory), le besoin relationnel fait partie des trois besoins psychologiques fondamentaux à la base de la motivation de l’être humain (avec les besoins de compétence et d’autonomie). En proposant une interaction avec nos pairs, par le challenge ou la coopération, le jeu online satisfait donc un besoin primaire : la socialisation. Évidemment, les réseaux sociaux se sont positionnés sur ce créneau. Facebook, en proposant le jeu de simulation de ferme FarmVille, permet aux membres qui ont installé l’application d’inviter leurs « amis » à participer à l’évolution de leur ferme. Ce qui permet de prolonger la communauté du « Social Network » au-delà de ses « murs », dans le monde virtuel et ludique.
Et pour l’apprentissage en ligne ?
De la même façon que l’on apprend des autres joueurs dans un jeu en ligne, on peut améliorer son apprentissage grâce à ses camarades de classe virtuelle. Deux leviers principaux peuvent être actionnés : le plaisir de la compétition et le désir de socialisation et d’échange. C’est donc en créant une vaste communauté d’apprenants capables de s’entraider (via des forums, des outils de discussion…) ou de s’affronter (en mode battle par exemple) que l’on pourra faire vivre sa formation en ligne comme un objet d’apprentissage durable et potentiellement infini.
Au final, l’engagement de l’apprenant et du joueur se ressemblent fort. Les mécanismes sont les mêmes, seuls leurs atours changent. L’envie de progresser, de se confronter aux autres et d’avoir une expérience sociale motive, fidélise et suscite satisfaction. Alice, revenue du Pays des Merveilles plus aguerrie et plus forte, ne dirait pas le contraire.
Pour aller plus loin :
Blog professionnel sur le jeu vidéo, Thibault Coupart